mercredi 11 mai 2005

Une lettre qui n a jamais été postée


Hola ... ,

Aujourd'hui j'ai envie de te raconter cette histoire.

Elle commença vers 1880, lorsque mon grand-père fut chassé de son village natal. Lors d'une rixe, il avait tué accidentellement son cousin. Chez les berbères, les disputes étaient courantes à propos d'un pied carré de terrain, "l'kommit" était à portée de main et le banissement était la peine capitale.
Il entrepris un long voyage vers l'Orient, en accompagnant les caravanes commerciales du désert.
Il effectua un premier pèlerinage à la Mecque, puis à Jérusalem, avant de s'installer quelque part en Palestine ou en Jordanie.
Puis il rentra au Maghreb.
Il fût accueillit dans un autre village qui organisa la réconciliation et son retour dans sa terre.
L'histoire raconte que pendant ces années en Orient, il effectuait les rites de prières quotidiennes deux fois. Une fois pour sa poire (en son propre nom) et une seconde au nom de son cousin tué.
Quelques années plus tard, il refît le même pèlerinage à la Mecque au nom de son cousin tué.
De quoi devenir schizo ! Non ?

Il y a une distance de presque un siècle entre mon grand-père et moi. Mais j'ai le sentiment d'avoir entrepris le même voyage. Pour quelqu'un que je n'ai pas encore tué.

Durant des mois, je prenais soin de regarder ton horoscope en prenant mon café du matin au comptoir d'un bistrot. Quand je visitais une ville, je prenais le temps d'être avec toi par la pensée.
Avec le temps, les regrets se sont transformés en une secrète euphorie. Bien sûr, j'évitais d'en parler aux autres. Parce que c'est le genre d'histoire que l'on tolère en blog, mais pas dans la vie quotidienne, sous peine d'être taxé de lourd dingue, stupide, déjanté ou je ne sais quoi encore.

Cette manière de vivre hors du monde conduit fatalement à une solitude parfois difficile, mais joyeuse. Ce que je ressentais s'accommodait difficilement de la fadeur des temps passés à tourner les uns derrière les autres, comme des aveugles dans la nuit.

Il y a un millier de petites choses qui me font tripper; des gens, la musique, les voyages, les matchs de rugby des All blacks, les contes de Jorge Luis Borges, les tirbulations de Georges Perec, les strophes catastrophes de Jean Baudrillerd, mon quartier, des bistrots, les cartes postales du bout du monde, les shows et les textes de l'humouriste algérien Fellag, la paella, Montréal.
J'aime beaucoup la littérature. Je rêve souvent. Des fois, je rêve les yeux ouverts.
Mais, je ne ressens plus le besoin d'écrire, ni de prendre des photos.
J'ai besoin surtout d'être indépendant et efficace dans mon travail.
J'essaie de faire en sorte que mon temps libre augmente et que mes revenus et mes envies de consommation s'équilibrent.

Je pense que t'avoir rencontrée est la chose la plus importante qui me soit arrivée.
Je n'avais pas de plan de vie. Juste confiance dans ma bonne étoile.
Un jour, chez mon amie ... , j'ai ouvert les yeux sur une jolie femme du nom de ... et j'ai été ébloui.
Quelques jours plus tard tu étais là, attablée dans ma cuisine, plus éblouissante que tout.
Que pouvait faire le petit berbère fougueux et maladroit, que j'étais, de ses mains, de ses doigts ? Je me suis accroché à celle qui semblait me ressembler.

Je te dirais la suite quand je serais guérie de ma névrose quand je deviendrai une seule personne. Je le dirais quand seront réconciliés en moi la ville et le désert
quand toutes les tribus quitteront les plaines de mon sang. quand je me libérerais du tatouage bleu que les sages d'Afrique ont gravé sur mon corps et de toutes les ordonnances de la médecine arabo-berbère que durant vingt, trente, quarante années j'ai subies.

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